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jeudi 27 novembre 2008

Edgar dit « La Filoche » - 3ème épisode

Le 3ème épisode du Roman Feuilleton "PASSAGE DE LA BUTTE" est en ligne sur www.passagedelabutte.net  A ne surtout pas manquer...


3ème épisode : "Après avoir bâclé sa mission (la recherche de Roberto Philippi) et fait une sieste tardive et néanmoins prolongée, Edgar qui n'a pas le moral , se rend Au Rêve où l'apparition de Juliette lui fera un sacré choc".




1. Edgar dit « La Filoche » - 2° épisode du 20 nov 08

Edgar pénétra dans l’immeuble du 19 de la rue Eugène Süe avec son passe. Il examina rapidement les étiquettes des boîtes à lettres pour constater, sans surprise, qu'aucune ne portait le nom de Roberto Filippi. Il attendit vainement que quelqu’un entre ou sorte pour l'interroger. L’escalier restait vide. Comme les commerçants des environs n’ouvraient qu’à 15 heures, il se posta pour attendre à la terrasse du café-tabac à l’angle de la rue Simart, d'où il pouvait surveiller l'enfilade des immeubles impairs de la rue Eugène Sue, tous semblables en hauteur et en façade.

En sirotant un petit calva, il étudia plus attentivement la photo de Roberto. L’homme, qui semblait de grande taille, tenait une danseuse enlacée. L'image était petite, le visage minuscule et déformé par le flash... vraiment ce n'était pas l'idéal pour une identification !

Ses craintes furent vite confirmées : ni le pantresortant de l’immeuble, ni les boutiquiers des environs ne le reconnurent de façon certaine.
Seul le tenancier du bar-tabac fut affirmatif :

« Oui, un homme très élégant… Un jour que je lui en faisais le compliment, il m’a répondu : "Chez nous on s’habille quand on va danser le tango !" ».

Ainsi Roberto dansait le tango à Paris, ça faisait toujours une piste…

Estimant sans doute en avoir assez fait pour la journée, Edgar remonta à grands pas chez lui, pour une sieste tardive...

* * *

Quand quelques jours plus tard il me raconta son entrevue avec Alfredo, je me mis en colère contre son incroyable désinvolture. "C'est un ami." me répondit-il, un peu surpris de la violence de ma réaction, "il ne m'exposerait pas !" "Il ne t'exposerait pas ! Crois-tu vraiment ?, lui rétorquais-je"

J'essayais de lui faire comprendre qu'une chose était de discuter voyages ou football autour d'une bonne bouteille, une autre d'accepter un contrat aussi peu clair... ou plutôt trop clair... il y avait un trafic louche dans cette histoire, cela sautait aux yeux. Bigre ! Un lapin de trois semaines pouvait voir ça ! Alfredo un homme d'honneur ? Certainement, encore fallait-il s'entendre sur son code d'honneur...

Rien n'y faisait... Edgar restait indifférent à mes propos, affichant tout au long de mon discours un sourire narquois de sale gosse.

En fait, je crois qu'il ne peut se retenir, en face d'un homme du milieu, de lui signifier qu'il partage les mêmes valeurs... Par atavisme, vraisemblablement... Cela remonte loin en tout cas.

Car Edgar est le dernier représentant d’une lignée de mauvais garçons, incrustée depuis toujours sur les pentes de la butte. Son père oui, c'était un malfrat ! Edgar le rappelle suffisamment. Je me suis d'ailleurs souvent demandé pourquoi, dès lors qu’il était accoudé au comptoir d’un bistro, ce garçon astucieux, plutôt honnête, à peu près rangé, pensait à tirer gloire d'une ascendance qu'il avait tendance à mythifier…

Après tout, quelle famille populaire de Montmartre n’a-t-elle pas eu ses mauvais sujets et ses poivrots ? Et franchement, qu’y a-t-il de si admirable dans la vie brève et peu mirobolante de son daron, dont l’existence se résume en allées et venues entre la prison de la Santé et les bistros de la Butte ?

Je m'interrogeais encore quand, devant l'émotion qu'il dégageait en chantant « A Montmerte » de Bruant, au cours d’un repas de quartier du passage Cottin, j'ai pensé tenir l'explication. Il était comme frappé par la grâce, et les nombreuses bouteilles éclusées au cours de la fête n'expliquaient pas tout.


Son enracinement dans la butte depuis des générations serait sa fierté principale, ai-je pensé... En somme, le fait que ses ancêtres aient tenu le haut du pavé montmartrois - c’est sa façon de voir - l’établirait dans une forme d’aristocratie.

La butte… tout l’y ramène. Comment n’aurait-il pas été frappé par les troublantes coïncidences de destin entre le personnage de Bruant et lui-même ?

L’an dix-huit cent soixante et dix
Mon papa qu’adorait l’trois-six
Et la verte
Est mort à quarante et sept ans
C’qui fait qu’y r’pose depuis longtemps
A Montmerte,

Oui, vraiment ! Tout dans cette chanson emblématique correspond à son histoire ! Son papa, mort lui aussi à quarante-sept ans, s'était rompu le cou en dévalant à moto les escaliers du square Caulaincourt après un casse manqué, échappant ainsi à la cirrhose qui le guettait, sans doute. Il repose dans un recoin du cimetière Montmartre.

Un père qui lui a laissé pour tout héritage un couteau à cran d’arrêt et une exceptionnelle capacité à tenir l’alcool.

* * *

En début de soirée, Edgar émergea enfin de sa sieste. Il jeta un regard hébété aux quatre coins de sa chambre. Elle était vide, peinte de blanc du sol au plafond. Il y a longtemps que les huissiers avaient fait main basse sur ses meubles. Tout détective honnête peut connaître des mauvaises passes.

Mais alors que son salon était un véritable capharnaüm où son vélo de course trônait au milieu de toutes sortes de meubles ramassés dans la rue (avec une prédilection pour le style des années 50), Edgar n’avait jamais fait l’effort de remeubler sa chambre à coucher.

Il semblait même se complaire dans ce dépouillement extrême, et le seul ornement de la pièce était un nuage de minuscules étoiles collées au plafond et brillant vaguement dans la pénombre...

Soudain, il se dressa sur ses deux coudes et s’écria : "Ça commence à bien faire !"

Il faut le comprendre… voilà quatre mois qu’il n’avait pas tenu une femme dans ses bras. En fait, depuis qu’une main railleuse (ou dépitée, préférait-il penser) avait écrit au rouge à lèvres sur la glace du lavabo :



Ce souvenir manquait cruellement d’agrément pour un romantique comme Edgar qui s’attachait fort à toutes les femmes rencontrées.

Mais voilà, question femmes, Edgar était de sa génération : il vivait plus ou moins seul, était plus ou moins fidèle et théorisait beaucoup sur la liberté.

* * *

A 21h37, Edgar marchait, comme à son habitude, à grandes enjambées, le buste légèrement penché, les yeux rivés au sol cinq pas devant. Très concentré, il écoutait les voix, les cris et les chants, toutes ces rumeurs qui jaillissent d’entre les vieux pavés de sa butte.

Parvenu au bas de la rue Girardon, il frissonna, comme à chaque fois qu’il passait en ce lieu… C’est là qu’au tournant du siècle, racontait-il, l’un de ses grand-oncles, un vrai butor celui-là, avait été retrouvé le nez dans l’abreuvoir, raide noyé, sans que l’on ait jamais su s’il était tombé dedans tout seul ou si une main charitable l’avait aidé à garder la tête dans l’eau.

Ce frisson d’empathie génétique lui rappela qu’il avait soif d’un petit cognac, comme souvent à cette heure. Place Constantin Pecqueur, le troquet Au Rêve, sur le trottoir d’en face, lui faisait signe. Revissant machinalement sa casquette, il accéléra le pas.

La lune en croissant, blanche et fatidique, brillait dans la pénombre grandissante.
A SUIVRE

Précisions historiques et topographiques - Notes d'Humbert

Au vu de la gravure de Delâtre que j’ai découverte au fond d'un tiroir, et qui représente la place de l’Abreuvoir en 1860, il semble difficile de croire qu'on puisse s'y noyer. Pourtant, elle est évoquée par Gérard de Nerval, qui en 1846, appréciait depuis le château des Brouillards tout proche " le voisinage de l'abreuvoir, qui le soir, s'anime du spectacle de chevaux et de chiens que l'on y baigne...".
L'abreuvoir de la Fontaine-du-but, construit au confluent des rues de l'Abreuvoir et Girardon, sur une pente exposée aux vents humides du nord-ouest, ne devait guère manquer d'eau. Ce flanc de la butte était même si détrempé qu'il se nimbait fréquemment de brumes au lever du jour, donnant ainsi son nom au château des Brouillards.

Ceci dit, Edgar se trompe au moins sur les dates, car l'abreuvoir de la Fontaine-du-But et la Fontaine-du-But proprement dite, située en contrebas, ont disparu vers 1880, comme beaucoup de sources montmartroises, détruites par le creusement des carrières.

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